Pas de demi-tour autorisé : Bacilio Amorrortu contre la sentence du Pérou sur la compétence

, Pas de demi-tour autorisé : Bacilio Amorrortu contre la sentence du Pérou sur la compétence

Le 5 août 2022, le tribunal saisi de la Bacilio Amorrortu c. la République du Pérou l’affaire a rendu sa sentence partielle sur la compétenceconfirmant l’objection de l’État selon laquelle M. Amorrortu n’a pas fourni une renonciation valide comme l’exige la « clause d’interdiction de demi-tour » établie à l’article 10.18.2 de l’accord de promotion commerciale entre les États-Unis et le Pérou (« USPTPA » ou le « Traité »). Lors d’un vote majoritaire aligné sur l’interprétation d’une précédente affaire de l’USPTPA, le Tribunal a conclu que les défauts de la renonciation ne pouvaient pas être corrigés par le demandeur. Le présent article présente brièvement le contexte de l’affaire et les principales questions en litige.

Arrière plan

Le bassin de Talara, situé au nord-ouest du Pérou, abrite l’une des principales zones d’exploitation pétrolière du pays. Des entreprises privées et publiques mènent des activités d’exploration et d’exploitation depuis la fin du XIXe sièclee siècle et, selon les autorités localesla production pétrolière quotidienne de ses blocs actifs s’élève à 20 488 BPOD.

Au début des années 1990, sous le gouvernement d’Alberto Fujimori, le Pérou a subi une série de réformes pour libéraliser son économie alors fortement centrée sur l’État. Dans le domaine de l’amont pétrolier et gazier, l’entreprise publique Petróleos del Perú SA a été privée du monopole qu’elle détenait sur les activités d’exploration et d’exploitation. Une nouvelle société, Perupetro SA.a été créé et investi du pouvoir de conclure des accords de licence avec des sociétés privées, par lesquels les sociétés étaient autorisées à extraire et à conserver la propriété des hydrocarbures du Pérou en échange du paiement d’une redevance.

Entre 2013 et 2014, M. Amorrortu a tenté de se lancer dans les opérations pétrolières dans le bassin de Talara. Par l’intermédiaire de sa société Baspetrol SAC, M. Amorrortu a déposé une proposition auprès de Perupetro afin d’engager des négociations directes en vue d’obtenir un accord de licence pour l’exploration et l’exploitation des blocs III et IV du bassin. Cependant, Perupetro n’a pas entamé la procédure de négociation directe et a plutôt lancé un appel d’offres public international, que la société Graña y Montero Petrolera SA a remporté.

En 2020, M. Amorrortu a entamé une procédure d’arbitrage international dans le cadre de l’USPTPA, arguant que le Pérou avait enfreint l’article 10.5 du Traité en n’accordant pas à son investissement un traitement juste et équitable conformément au droit international coutumier. Plus précisément, le réclamant a fait valoir que l’appel d’offres avait été truqué dans le cadre d’un stratagème de corruption impliquant de hauts fonctionnaires du gouvernement péruvien, violant ainsi ses attentes légitimes.

Exceptions juridictionnelles du Pérou

Conformément à l’article 23 du Règlement de la CNUDCI de 2013, applicable en l’espèce, le Pérou a soulevé six exceptions d’incompétence du tribunal avant de déposer son mémoire en défense. Selon l’intimé, M. Amorrortu :

  1. n’avait aucun droit en vertu de l’USPTPA à une négociation directe ou à un contrat. Ainsi, aux termes de l’article 10.20.4 du Traité, « en droit, [the] réclamation soumise [was] pas une demande pour laquelle une indemnité en faveur du demandeur peut être rendue”;
  2. n’était pas admissible en tant qu’investisseur protégé en vertu de l’USPTPA ;
  3. ne possédait pas d’investissement protégé en vertu de l’USPTPA ;
  4. n’a pas soumis de renonciation valide conformément à l’article 10.18.2 de l’USPTPA ;
  5. n’a pas soumis sa demande dans le délai de trois ans prévu à l’article 10.18.1 de l’USPTPA ; autre
  6. que les mesures alléguées par M. Amorrortu n’étaient pas imputables au Pérou.

En janvier 2021, le Tribunal a décidé de bifurquer la procédure pour statuer sur les exceptions 1 et 4 en tant que questions préjudicielles.

La clause d’interdiction de demi-tour

L’article 10.20.4 de l’USPTPA établit qu’aucune réclamation ne peut être soumise à l’arbitrage à moins que « la notification d’arbitrage est accompagnée […] par la renonciation écrite du demandeur […] de tout droit d’engager ou de poursuivre devant un tribunal administratif ou un tribunal en vertu de la législation de toute Partie, ou d’autres procédures de règlement des différends, toute procédure concernant toute mesure présumée constituer une violation visée à l’article 10.16.”

Pour se conformer à cette exigence, la notification d’arbitrage stipulait que M. Amorrortu « renoncer à[d] son droit d’engager ou de poursuivre devant tout tribunal administratif ou tribunal en vertu de la législation de toute Partie, ou d’autres procédures de règlement des différends, toute procédure concernant toute mesure présumée constituer une violation visée à l’article 10.16 […]. Dans la mesure où le Tribunal peut refuser d’entendre toute réclamation fondée sur des motifs de compétence ou de recevabilité, le Demandeur se réserve le droit de porter ces réclamations devant un autre forum pour une résolution sur le fond..» (nous soulignons).

Selon l’objection 4 du Pérou, la renonciation de M. Amorrortu n’était pas conforme aux exigences de forme ou de fond du traité. En ce qui concerne le premier, le Tribunal s’est rangé du côté du demandeur et a conclu que le texte de l’USPTPA n’étayait pas l’opinion du Pérou selon laquelle la renonciation devait « accompagner » la notification d’arbitrage dans un document différent et être signée par M. Amorrortu lui-même plutôt que par son avocat.

Quant aux exigences de fond, cependant, le Tribunal a confirmé l’objection 4, concluant que le libellé de l’article 10.20.4 était catégorique et empêchait toute réserve de droits d’être incluse dans la renonciation. Pour étayer cette conclusion, le Tribunal a cité les critères appliqués dans Renco I c.Pérouoù la même disposition a été interprétée et où il a été dit que :

« L’article 10.18(2)(b) est une disposition « sans demi-tour » qui vise à offrir de la flexibilité, en permettant le recours à d’autres instances jusqu’à un certain point, et de la certitude, en interdisant un tel recours par la suite. En particulier, il empêche un investisseur de revenir devant un tribunal national après avoir soumis ses demandes à l’arbitrage. La réserve de droits de Renco est incompatible avec cette structure « sans demi-tour » car elle prétend réserver le droit de Renco d’engager une procédure ultérieure devant un tribunal national et d’effectuer le même « retour en arrière » que l’article 10.18(2)(b) est conçu à interdire.» (voir paragraphe 96).

Après avoir conclu que la renonciation de M. Amorrortu était invalide en vertu de l’article 10.18.2 de l’USPTPA, le Tribunal s’est ensuite penché sur la question de savoir si une renonciation valide (que le demandeur a soumise dans le dossier de preuve après que l’objection a été soulevée) pouvait être admise à guérir le premier. Cette question a divisé le vote du Tribunal, la majorité soutenant l’objection 4 en niant la possibilité qu’une renonciation défectueuse puisse être corrigée.

Selon la majorité, la renonciation défectueuse de M. Amorrortu ne pouvait être réparée par la « seconde ». Étant donné que le respect de l’article 10.18.2 fait partie de l’offre d’arbitrage contenue dans l’USPTPA, « si une renonciation invalide ou non conforme est soumise, l’offre d’arbitrage d’un État et l’acceptation de celle-ci par un investisseur ne se rencontrent pas. Aucune convention d’arbitrage n’est formée et, par implication nécessaire, tout tribunal arbitral constitué sur la base d’une telle convention d’arbitrage inexistante sera privé de compétence Depuis le début.

L’opinion de la majorité était partagée par la majorité dans Renco I, où une tentative similaire visant à remédier à une renonciation défectueuse a été rejetée. Cependant, le fait que l’unanimité n’ait pas été atteinte dans les deux cas est un signal que le débat sur l’interprétation de la « No U-Turn Clause » dans l’USPTPA est loin d’être réglé.

Bien que l’arbitre dissident n’ait pas déposé d’opinion séparée sur la question dans Renco I, l’arbitre président dans Amorrortu a développé sa position, arguant que la date de la décision sur la compétence devrait être considérée comme la date critique pour déterminer si une renonciation valide a été soumise par le demandeur. Cette position suit les critères de la Cour internationale de justice (« CIJ ») dans la Mavrommatis l’affaire et l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (« Croatie c. Serbie »), où la Cour a jugé que «[w]ce qui importe, c’est qu’au plus tard à la date à laquelle la Cour statue sur sa compétence, le requérant doit être en droit […] d’engager une nouvelle procédure dans laquelle la condition initialement non remplie serait remplie.” (voir paragraphe 85)

La majorité a rejeté l’application des critères de la CIJ en estimant que l’article 10.18.2 du Traité constitue lex specialis et que, si le Tribunal devait admettre qu’une renonciation défectueuse peut être réparée, il serait « se redressant par ses propres bottes”. Par conséquent, selon l’opinion qui prévaut aujourd’hui, la « clause d’interdiction de demi-tour » de l’USPTPA empêche non seulement un demandeur de recourir à d’autres pour unmais aussi de « faire demi-tour » pour remédier à tout défaut de la dérogation requise.

Conclusion

Bien que l’interprétation adoptée dans Cupidortu autre Renco I peut être compatible avec les dispositions de l’USPTPA, du point de vue de la politique relative aux traités d’investissement, on ne sait pas à quoi sert cette disposition. Alors que la « clause de non-retour » offre une certitude aux États en garantissant que tous les différends concernant une mesure seront résolus dans une instance unique, cette certitude ne serait pas compromise en permettant de remédier à une renonciation défectueuse (surtout si une décision défavorable sur la compétence n’empêcherait pas l’investisseur de déposer une nouvelle demande avec une renonciation appropriée par la suite). Selon les termes de la CIJ, «il n’est pas dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’obliger le requérant à engager à nouveau la nouvelle procédure.” (voir Croatie c. Serbie, paragraphe 85).

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