Voici un nouvel éditorial qui va compléter notre revue de presse sur « la justice ».
Le titre (Le tribunal de Draguignan va expérimenter un dispositif pour limiter les récidives des personnes addicts aux stupéfiants) en dit long.
Annoncé sous le nom «d’anonymat
», le rédacteur est positivement connu.
Vous pouvez lire ces infos en toute sécurité.
L’éditorial a été édité à une date mentionnée 2022-12-22 11:20:00.
Texte d’origine :
En termes de prévention de la récidive, « les pays anglo-saxons ont quarante ans d’avance sur nous », lâche Damien Savarzeix, procureur de la République de Grasse.
Cette remarque cinglante s’inscrit en marge d’un débat lors d’un colloque organisé la semaine dernière par le tribunal judiciaire de Draguignan – en collaboration avec la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et l’École nationale de la magistrature (ENM) – sur la justice et l’addiction aux stupéfiants, au Théâtre de l’Esplanade.
Un retard que la France paye au prix fort. Actuellement, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires en région Paca s’élève à 122% en novembre 2022, 118% au niveau national.
Faire de la justice « positive »
Une situation encore plus problématique concernant les personnes addicts aux stupéfiants. Vulnérables, « leur taux de récidive est très élevé », pointe David Malicot, substitut du procureur et référent stupéfiants au parquet de Draguignan. Selon une étude de 2021 portant sur 41.500 personnes sorties de détention en 2016, 39% des « récidivistes » sont signalés pour des addictions aux drogues, à l’alcool ou aux psychotropes. « On est dans une politique d’échec », déplore avec lucidité Damien Savarzeix.
D’où l’importance de réunir « tous les acteurs autour de la table »pour trouver des solutions. Aux États-Unis, en Écosse ou en Nouvelle-Zélande, par exemple, des dispositifs de « justice résolutive de problèmes » et de suivis judiciaires renforcés ont porté leurs fruits depuis les années 1980.
« Dans ces pays, le juge félicite le bon comportement de la personne lors de sa remise en liberté, et ce devant tout le monde. Ce qui influe de manière positive sur la psychologie de la salle, car le juge possède une opinion symboliquement plus impactante que celle des travailleurs sociaux ou des médecins », illustre le procureur grassois. Par la suite, le taux de récidive chute fortement.
En deux mots: il faut « individualiser » et « problématiser » la situation de chaque personne.
Un accompagnement renforcé
Le parquet de Draguignan s’intéresse fortement à l’expérience d’accompagnement individualisé renforcé (AIR) menée par Damien Savarzeix avec l’association socio-judiciaire d’enquête et de médiation (AEM), alternative à l’incarcération, lorsqu’il était procureur en Saône-et-Loire.
« On a mis en place un suivi personnalisé et approfondi avec des multirécidivistes, décrit-il. Au programme : un rendez-vous au moins une fois par semaine avec un agent de l’AEM, des soins médicaux adaptés, un accompagnement à la réinsertion en aidant la personne à mettre à jour ses papiers administratifs, trouver un logement, un travail, etc. »
Des permanences sont même mises en place le soir et le week-end avec des psychologues. « Avec ce dispositif, le risque de récidive diminue, et les éventuels délits commis par la suite sont systématiquement moins graves qu’auparavant ».
Coût de l’opération: 600.000 euros pour 200 personnes, soit 3.000 euros par tête, pour un an de suivi. « C’est moins cher que la détention », rassure Damien Savarzeix.
À environ 105 euros par jour, une année en prison se chiffre effectivement à 32.000 euros par personne.
Des arguments qui séduisent Patrice Camberou, procureur de la République de Draguignan.
« Face à l’addiction, on va adapter l’accompagnement. Il n’y aura pas que Grasse ou Nice [qui vont débuter des expérimentations, Ndlr], vous pouvez aussi compter sur le parquet de Draguignan ».
L’alcool est la drogue la plus problématique de toutes
« En prison, les détenus fabriquent de l’alcool en faisant macérer des fruits dans de la bave ». C’est avec cette petite recette peu ragoûtante que David Malicot, référent stupéfiants au parquet de Draguignan, décrit les sérieux problèmes que pose cette drogue dure. Certains cherchant à en consommer par tous les moyens.
Car l’addiction qu’elle engendre est extrêmement pernicieuse. « La majorité des personnes font un déni total de leur dépendance à l’alcool. Prendre conscience de son addiction et en sortir peut donc être très difficile », révèle le Dr Philippe Aygalenq, médecin au centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) de Draguignan. Sans oublier que ce stupéfiant est le seul dont la consommation est acceptée, voire encouragée en France.
« Un coût social exorbitant »
Philippe Aygalenq pèse ses mots. « L’alcool a un coût social exorbitant, estimé à 120 milliards d’euros par an selon une étude menée en 2011 », soit 4,63% du Produit intérieur brut (PIB) de la France pour cette même année.
La route étant un exemple édifiant. Sur les 94% des condamnations pénales prononcées en 2016, la conduite en état d’ivresse avec infraction à la sécurité routière représentait 39% des condamnations, et 22% pour les atteintes aux biens.
Sans oublier les autres conséquences dramatiques que la boisson entraîne : accidents de la circulation, chutes accidentelles, suicides et homicides. Les hommes étant en moyenne davantage concernés que les femmes.
« a justice se retrouve à devoir fréquemment gérer des cas d’alcoolisme, qui entraînent nombre de violences intrafamiliales », rappelle Patrice Camberou, procureur de la République de Draguignan, qui s’est récemment saisi de ce type de violences.
« Tout est lié. L’alcool est la drogue la plus problématique de toutes », conclut l’addictologue.
Bibliographie :
Des conspirations et de la justice politique/II,Le livre .
Justice et déviance à l’époque contemporaine,Le livre .
Pour l’honneur de la justice,Le livre . Disponible dans toutes les bonnes librairies.