Analyse : « La compétence de la Cour pour interpréter les accords mixtes et la responsabilité du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire (Affaire C-500/20, ÖBB infrastructure société anonyme) » de Biljana Činčurak Erceg
Le 14 juillet 2022, la Cour de justice a rendu son arrêt sur la demande de décision préjudicielle dans l’affaire ÖBB infrastructure société anonyme (C-500/20).
La demande a été introduite dans le cadre d’un litige entre ÖBB Infrastructure AG, un gestionnaire d’infrastructure ferroviaire autrichien, et Lokomotion Gesellschaft für Eisenbahntrakt mbH, une société ferroviaire allemande, concernant une demande d’indemnisation suite à un accident survenu sur une voie ferrée exploitée par ÖBB Infrastructure . En 2014, ces entreprises ont conclu un contrat portant sur l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire appartenant à l’infrastructure ÖBB pour le trafic international. Le 15 juillet 2015, un train composé de six locomotives appartenant à la Lokomotion Gesellschaft a déraillé à la gare de Kufstein, où ÖBB Infrastructure AG gère l’infrastructure. Deux de ces locomotives ont été endommagées, la Lokomotion Gesellschaft a donc loué deux locomotives de remplacement. Par conséquent, elle a intenté une action en justice contre la société ÖBB Infrastructure pour l’indemnisation des coûts de cette location.
Après l’arrêt de première instance et d’appel, l’affaire a été portée devant la Cour suprême d’Autriche, qui a posé trois questions à la Cour de justice. La Cour de justice a été interrogée sur sa compétence pour interpréter la convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) de 1980, telle que modifiée par le protocole de 1999. Elle a également été interrogée sur l’étendue de la responsabilité des gestionnaires d’infrastructure ferroviaire en vertu des règles uniformes concernant le Contrat d’utilisation de l’infrastructure en trafic international ferroviaire (les Règles uniformes CUI) et sur l’étendue de la responsabilité des parties au contrat (plus précisément, si elles peuvent étendre leur responsabilité par un renvoi général au droit national, en vertu duquel le champ de la responsabilité du gestionnaire de l’infrastructure est plus large et qui subordonne cette responsabilité à l’existence d’une faute).
L’Union européenne et tous les États membres (à l’exception de Chypre et de Malte) sont parties à la COTIF. La Cour de justice a d’abord dû se prononcer sur sa compétence puisque la COTIF est une convention mixte. Selon la décision 2013/103 du Conseil, l’Union dispose d’une compétence exclusive ou partagée avec les États membres dans les domaines couverts par la convention COTIF. Comme l’a déclaré l’avocate générale Ćapeta dans ses conclusions, «la compétence de la Cour en matière d’accords mixtes a été examinée dans un nombre étonnamment restreint d’arrêts», et la jurisprudence de la Cour n’a pas encore apporté de réponse générale quant à la justification et aux limites de la compétence sur les accords mixtes. Pour cette raison, bien que ce ne soit pas la première fois que la Cour de justice se prononce sur la compétence en matière d’accords mixtes, il est clair que ce ne sera pas non plus la dernière car la compétence en matière d’accords mixtes doit, comme l’affirme Ćapeta, être confirmée par l’analyse de chaque accord particulier dans son propre contexte. Dans l’affaire C-500/20, la Cour de justice s’est déclarée compétente pour interpréter les RU CUI.
C’est la première fois que la Cour de justice interprète les RU CUI, en abordant notamment la question de savoir si les dommages occasionnés par la location de locomotives de remplacement sont couverts par les RU CUI. Les RU CUI régissent la «responsabilité du gérant» de telle manière que le gérant est responsable des dommages corporels (article 8, paragraphe 1, point a)), des pertes ou dommages matériels (article 8, paragraphe 1, point b )), pour le préjudice pécuniaire résultant des dommages à la charge du transporteur en vertu des RU CIV et des RU CIM (article 8, paragraphe 1, sous c)), «causés au transporteur ou à ses auxiliaires à l’occasion de l’utilisation de l’infrastructure et ayant son origine dans l’infrastructure ». Il y a donc dans ce cas une différence entre : le dommage matériel (en l’occurrence, celui des locomotives elles-mêmes) et celui dont la responsabilité du gestionnaire peut être réclamée au titre du dommage pécuniaire (celui du coût de la location des locomotives de remplacement). La Cour de justice a estimé que la responsabilité pour perte ou dommage aux biens n’inclut pas la responsabilité pour ces dommages pécuniaires exclusifs. La Cour a estimé que, puisque la responsabilité pour les dommages matériels dans le trafic ferroviaire conformément à l’article 8, paragraphe 1, point b), est fondée sur la responsabilité objective, elle doit être interprétée de manière restrictive. Elle n’a donc pas étendu le préjudice matériel au préjudice matériel. La société Lokomotion aurait pu demander une indemnisation pour préjudice matériel, mais elle ne l’a pas fait.
Clarifiant la réponse à la troisième question, à savoir s’il est possible pour les parties de stipuler dans un contrat une responsabilité plus grande par référence générale au droit national, l’avis de l’avocat général ainsi que l’arrêt lui-même sont expliqués de la manière la plus courte. La Cour a suivi l’avis de l’avocat général selon lequel l’article 4 des RU CUI (aux termes duquel «les parties au contrat peuvent convenir si et dans quelle mesure le gestionnaire est responsable du préjudice causé au transporteur par le retard ou perturbation de ses opérations») ne limite en rien la possibilité pour les contractants de convenir d’une extension de leur responsabilité. De même, selon tant l’avocat général que la Cour, rien ne s’opposerait à l’extension de la responsabilité du cocontractant sous la forme d’un renvoi aux règles de droit national. Toutefois, la Cour a laissé au juge national le soin de déterminer si telle était bien l’intention des parties au contrat.
En somme, la responsabilité du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire pour les dommages pécuniaires exclusifs a été résolue dans cette affaire, sans étendre la responsabilité à ces dommages. Les Règles uniformes CUI permettent aux parties au contrat de convenir si et dans quelle mesure le gestionnaire peut être responsable des pertes ou dommages causés au transporteur par le retard ou la perturbation de ses opérations. Dans tous les cas, les parties devraient inclure cette possibilité dans les contrats.
Biljana Čincurak Erceg est professeur agrégé de droit maritime et général des transports à Josip Juraj Strossmayer Université d’Osijek, Faculté de droit d’Osijek, Croatie.