Par le professeur Elspeth Guild, Queen Mary University of London et Valsamis Mitsilegas, professeur de droit européen et mondialUniversité de Liverpool
La politique rwandaise consistant à envoyer des demandeurs d’asile du Royaume-Uni vers un pays d’Afrique pour y recevoir et déterminer leurs demandes est un résultat pervers du Brexit. Tant que le Royaume-Uni faisait partie de l’UE, le système de Dublin consistant à répartir la responsabilité des demandeurs d’asile entre les 28 États membres d’alors réduisait la possibilité de mouvements secondaires au sein de la zone (malgré la faible application générale du système). Le départ du Royaume-Uni de l’UE et son incapacité à conclure un nouvel accord similaire avec la France ont conduit les demandeurs d’asile à déposer une demande d’asile au Royaume-Uni mais qui ont voyagé à travers la France pour pouvoir faire examiner leur demande au Royaume-Uni sans risquer d’être renvoyé en France. La solution du gouvernement britannique à ce problème est de les envoyer au Rwanda. Le projet n’est ni original ni reflet de la politique britannique. UN projet similaire a été envisagé au Danemark en 2021 mais abandonné en 2023 pour des raisons qui n’ont jamais été pleinement explicitées (sur la politique du Danemark, voir ici). Il semble que les responsables rwandais aient suggéré cette possibilité à divers États de l’UE (et clairement au Royaume-Uni) dès 2020.
Libéré du droit d’asile de l’UE, le gouvernement britannique a décidé d’aller de l’avant avec le projet. En avril 2023, le gouvernement britannique est parvenu à un accord (et non sous la forme d’un traité international, voir ici) avec le gouvernement du Rwanda intitulé Partenariat pour la migration et le développement économique (MEDP). Le terme juridique désignant l’accord était un protocole d’accord qui rejetait expressément tout caractère juridiquement contraignant (article 2.2) (sur son incompatibilité avec le droit international, voir ici). À Addenda à cet instrument n’est pas non plus juridiquement contraignant. Le protocole d’accord prévoyait que les demandeurs d’asile arrivant au Royaume-Uni seraient envoyés au Rwanda même sans lien avec ce pays où leur demande d’asile serait examinée. Dans le cadre du MEDP, le Rwanda a accepté de se conformer au droit international relatif aux réfugiés et aux droits de l’homme.
Les autorités britanniques ont alors commencé à sélectionner les demandeurs d’asile à envoyer au Rwanda dans le cadre du protocole d’accord. La politique du gouvernement britannique à l’égard du Rwanda a suscité de nombreux débats publics sur sa légalité et sa moralité. Il n’est donc pas surprenant que lorsque le gouvernement a envoyé des instructions d’expulsion aux demandeurs d’asile à envoyer au Rwanda, tous ont contesté la légalité de leurs expulsions envisagées. En première instance, le tribunal britannique a statué qu’avant de procéder à un renvoi vers le Rwanda, les autorités doivent procéder à un examen approprié de la situation de chaque demandeur individuel, mais que cette politique était légale. Les requérants firent appel de la décision qui fut alors réexaminé par la Cour d’appel. Le tribunal a jugé que cette politique était illégale dans la mesure où le Rwanda n’était pas un pays sûr vers lequel envoyer des demandeurs d’asile car il existait un risque réel qu’ils y soient soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, contrairement à la Convention européenne des droits de l’homme.
Les autorités ont fait appel en dernière instance au Royaume-Uni, la Cour suprême qui a rendu son jugement.jugement du 15 novembre 2023. (Pour une analyse, voir Mitsilégas sur ce blog). Cela contredisait l’avis de la Cour d’appel selon lequel le Rwanda n’était pas un pays sûr en tant que destination pour les demandeurs d’asile, bloquant ainsi l’envoi de l’un d’entre eux là-bas. Pour rendre sa décision, la Cour suprême s’est fortement appuyée sur la preuve empirique présenté par le HCR, commentant favorablement la nature faisant autorité de la position du HCR au titre de la Convention relative aux réfugiés.
Les autorités britanniques n’étaient pas d’accord avec la Cour suprême. Le même jour que le jugement, le Premier ministre a annoncé qu’il entreprendrait immédiatement deux actions : premièrement, conclure un accord juridiquement contraignant avec le Rwanda (l’une des faiblesses identifiées par la Cour suprême) et deuxièmement introduire une nouvelle législation (d’urgence) qui permettrait Le Parlement doit confirmer que, conformément au nouveau traité, le Rwanda est un pays sûr vers lequel envoyer des demandeurs d’asile. Le nouvel accord avec le Rwanda a été adoptée en décembre 2023. La Projet de loi sur la sécurité du Rwanda (asile et immigration) a été présenté au Parlement le 7 décembre 2023. Au moment de la rédaction de cet article, il est en commission à la Chambre des Lords.
Le nouvel accord interdit expressément l’envoi de demandeurs d’asile qui ont été transférés par le Royaume-Uni au Rwanda pour que leur demande d’asile soit accueillie et examinée, et qu’ils soient renvoyés ailleurs que vers le Royaume-Uni. Cette disposition vise à répondre aux préoccupations de la Cour suprême concernant le refoulement ultérieur des demandeurs d’asile du Rwanda vers des pays qui ne sont pas sûrs (il s’agissait d’un élément majeur des observations du HCR). Mais les autorités britanniques ont compris que même ce nouvel accord, sous la forme améliorée d’un traité juridique contraignant serait peut-être insuffisant pour convaincre les tribunaux britanniques (sans parler de la Cour européenne des droits de l’homme) qu’il serait légal d’y envoyer des demandeurs d’asile.
En effet, dans un rapport du 7 février 2024, la Commission mixte des droits de l’homme des deux Chambres du Parlement a estimé que l’évolution de la situation au Rwanda était insuffisante pour que celui-ci soit considéré comme un pays sûr, surtout si peu de temps après que la Cour suprême ait jugé défavorablement son statut. En outre, en ce qui concerne les garanties selon lesquelles les demandeurs d’asile ne pourraient être renvoyés nulle part sauf vers le Royaume-Uni, le rapport note que les mesures et les infrastructures nécessaires à de tels retours n’avaient pas été envisagées ou mises en place.
Afin d’éviter tout examen judiciaire plus approfondi de la politique rwandaise, les autorités britanniques ont décidé de légiférer contre l’examen judiciaire des réclamations des personnes soumises à cette politique. En excluant les tribunaux du contrôle judiciaire, les autorités entendent pouvoir, par décision ministérielle sur la sécurité du Rwanda, y envoyer enfin des demandeurs d’asile. Cette législation est le projet de loi sur la sécurité du Rwanda (asile et immigration) ce qui permet au gouvernement de déterminer sans contrôle judiciaire que le Rwanda est un pays sûr en tant que destination pour les demandeurs d’asile. Les critiques du projet de loi suggèrent qu’il est inconstitutionnel, notamment dans la mesure où il crée une fiction juridique pour contourner le contrôle judiciaire (le Barreau, cité dans le rapport du Comité mixte page 17). Le projet de loi a été critiqué comme étant contraire à l’État de droit, car cela équivaudrait à une usurpation législative de la fonction judiciaire, contrairement à la conception constitutionnelle britannique de la séparation des pouvoirs, qui exige que le législateur respecte l’essence de la fonction judiciaire (sur le point voir Chasse).
Le projet de loi ne se limite pas à exiger que les tribunaux britanniques considèrent le Rwanda comme un pays sûr à ces fins. Il leur interdit également d’entendre les contestations sur la sécurité du Rwanda. Cela empêche en outre tout tribunal de déterminer si une allégation selon laquelle une personne sera expulsée vers le Rwanda constitue une violation des obligations du Royaume-Uni en matière de droit international ; que le Rwanda ne traitera pas correctement leurs demandes d’asile ou que le Rwanda ne respectera pas les termes du traité. Si cette loi avait été en vigueur au moment où la Cour suprême a été saisie de la contestation, qu’elle a accueillie avec succès, cette contestation aurait été illégale et la Cour suprême n’aurait pas pu l’entendre.
Cet aspect du projet de loi pose problème pour les engagements du Royaume-Uni au titre de la CEDH, en particulier les articles 2 et 3 en liaison avec l’article 13 (droit à un recours effectif). La réponse des autorités britanniques à ce défi n’a pas été d’exclure la possibilité qu’un tribunal fasse une déclaration d’incompatibilité en vertu de la Loi sur les droits de l’homme de 1998 qui intègre la CEDH dans le droit britannique. Le problème, cependant, est qu’une déclaration d’incompatibilité n’a pas d’effet contraignant et ne répond donc pas à l’exigence d’un recours effectif en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Un lieu de contestation est prévu dans le projet de loi pour les réclamations « fondées sur des preuves convaincantes liées spécifiquement aux circonstances particulières de la personne plutôt que sur le motif que la République du Rwanda n’est pas un pays sûr en général ». Toutefois, il s’agit ici d’une exception extrêmement étroite, si étroite en fait que de nombreux experts qui ont donné leur avispreuves au Comité mixte a estimé qu’elle ne remplissait pas l’exigence d’un recours effectif au sens de la CEDH.
Le projet de loi exclut également l’application des dispositions de la loi sur les droits de l’homme qui exigent le respect de la CEDH par les autorités publiques et le respect de la jurisprudence de la CEDH. Finalement, le projet de loi rejette la demande Mesures provisoires au titre de l’article 39 de la CEDH concernant les expulsions au Rwanda. Bien que les témoignages d’experts fournis au Comité mixte soient fermement d’avis que de telles mesures provisoires sont contraignantes pour les autorités auxquelles elles sont adressées, le projet de loi renversera cette situation, un ministre de la Couronne décidera si le Royaume-Uni se conformera aux mesures provisoires. ordonnée par la Cour EDH. Il est interdit aux tribunaux nationaux de prendre en compte les mesures provisoires ordonnées par la Cour EDH, à moins qu’elles ne soient confirmées par le ministre. En d’autres termes, éloignez ce juge de ma vue !