Joana Covelo de Abreu (Editor and Key-staff member of CitDig Jean Monnet Centre of Excellence)
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L’Union européenne (UE) s’est fixé un objectif plus large jusqu’en 2030 : vivre une décennie numérique, où les données (personnelles et publiques) sont essentielles pour appréhender une économie de la donnée, c’est-à-dire une économie capable, en promouvant les valeurs européennes, de renforcer sa croissance grâce à l’informatique, pour améliorer la vie des citoyens européens. En fait, il est prévu que, jusqu’en 2025, le volume de données produites puisse atteindre la quantité de 175 zettaoctets dans le monde entier : parallèlement à une augmentation du traitement des données personnelles, il existe une tendance croissante concernant les données industrielles et publiques non personnelles dans l’UE qui doivent être correctement exploitées.[1]
En ce qui concerne les données publiques, elles devraient être largement disponibles pour responsabiliser les citoyens car, ce faisant, nous pouvons parvenir à une Europe numériquement « ouverte, équitable, diversifiée, démocratique et confiante ». Ainsi, si l’on veut mener une économie de données, il faut trouver des solutions structurelles concernant i) la connectivité ; ii) traitement et stockage des données ; iii) capacité de calcul ; et iv) la cybersécurité, l’UE devrait être en mesure de v) améliorer ses structures de gouvernance en matière de traitement des données ; et vi) élargir les référentiels de données de qualité où les données peuvent être utilisées et réutilisées.
La directive 2019/1024, sur les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public (refonte), pourrait être la pierre angulaire pour réaliser cette économie des données qui pourrait conduire à des espaces publics réellement intelligents, où les citoyens et les entreprises sont véritablement inclus dans la prise de décision. processus de fabrication.
Cette directive, dans la lignée de la directive 2013/37/UE (ancienne directive ISP) – modifiant la directive 2003/98/CE relative à la réutilisation des informations du secteur public – visait à mettre à disposition un plus grand nombre de données publiques générées, notamment pour PME, mais aussi à la société civile et à la communauté scientifique. En fait, la directive 2019/1024 vise à rendre plus de données accessibles au public, en particulier celles provenant d’initiatives financées par des fonds publics. En outre, il a également envisagé d’adapter les solutions juridiques aux nouvelles avancées concernant les nouveaux outils d’information, de communication et technologiques. En fait, « [m]une harmonisation minimale des règles et pratiques nationales en matière de réutilisation des informations financées par des fonds publics devrait contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et au bon développement de la société de l’information dans l’UE”[2]. En fait, le régime juridique précédent n’était plus adéquat pour répondre aux deux demandes principales du marché actuel : i) des données dynamiques plus larges et nombreuses ; et ii) des données provenant de différentes sources [SWD(2018) 127 final, p. 8].
Concernant les données dynamiques, le régime précédent n’était pas bien conçu pour permettre différentes méthodes d’accès et pour améliorer la réutilisation de ces données dynamiques par les machines. Ces données revêtant une importance fondamentale pour le développement de services fournissant des informations en temps réel, la directive 2019/1024 vise désormais « la fourniture d’un accès en temps réel à des données dynamiques par des moyens techniques adéquats » (considérant 4) tout en permettant « les citoyens et les personnes morales à trouver de nouvelles façons de les utiliser et à créer de nouveaux produits et services innovants » (considérant 8). Dans ce sens, »[d]Les données dynamiques doivent donc être mises à disposition immédiatement après la collecte, ou dans le cas d’une mise à jour manuelle immédiatement après la modification de l’ensemble de données, via une interface de programmation d’application (API) afin de faciliter le développement d’applications Internet, mobiles et basées sur le cloud. sur ces données » (considérant 31).
En ce qui concerne l’obtention de données de différentes sources, il existe encore des obstacles au fonctionnement du marché, notamment motivés par des entités publiques estimant qu’elles devraient tirer profit de leurs données publiques : cette croyance a été abrogée par l’analyse d’impact, car elle est injustifiée d’un point de vue macroéconomique puisque « [p]l’information du secteur public est un bien non concurrent qui peut être réutilisé plusieurs fois et sa forte élasticité-prix signifie qu’une baisse du prix déclenche une augmentation de l’utilisation » [SWD(2018) 127 final, p. 11]. En outre, l’analyse d’impact a également constaté que les redevances concernant la réutilisation des données publiques étaient encore assez fragmentées entre les États membres et au sein de leurs autorités publiques, ce qui pouvait entraîner une discrimination entre les PME et les start-up par rapport aux entreprises multinationales puisque ces dernières peuvent facilement soutenir facturer des frais pour acquérir l’accès à des bases de données publiques, alors que celles-ci peuvent être hors de portée des PME et des start-ups. Cette fragmentation pourrait avoir un fort impact sur les niveaux d’innovation de l’UE. Pour y faire face, la directive 2019/1024 a établi un régime plus clair, à travers ses articles 6 et 7 : « [d]les documents doivent […] être mis à disposition pour être réutilisés gratuitement et, lorsque des redevances sont nécessaires, elles devraient en principe être limitées aux coûts marginaux » (considérant 36).
Malgré plusieurs exceptions et limitations au champ d’application de la directive 2019/1024, nous sommes convaincus qu’elle a créé des solutions pour résoudre les principaux problèmes d’efficacité concernant le régime juridique précédent. Cependant, peut-être conscient des limites structurelles de cette directive, le législateur européen a inclus, en vertu de l’article 18, un outil d’évaluation de la Commission pour traiter de la portée et de l’impact social et économique de cette directive.
Dans cette mesure, il est urgent de démêler le rôle que les données ouvertes et publiques peuvent jouer dans la création d’environnements intelligents. Les villes intelligentes combinent l’innovation technologique, organisationnelle et politique pour répondre aux défis urbains de manière intelligente, permettant une vision de l’avenir centrée sur la gouvernance, l’économie, la mobilité, l’environnement, la population et la qualité de vie[3]. Les villes intelligentes sont basées sur de nouvelles technologies qui reposent sur l’utilisation de données étendues, ce qui en fait des écosystèmes urbains hyperconnectés où la confluence technologique se produit[4].
L’ouverture et la transparence sont donc des priorités absolues des politiques publiques pour créer des villes plus intelligentes, où la réutilisation des données publiques est vitale : puisque les écosystèmes urbains reposent sur des structures différenciées – comme celles liées aux transports, à l’énergie, à l’approvisionnement en eau, au traitement des déchets – , ceux-ci sont capables de créer une énorme quantité de données publiques à partir desquelles il est possible de déduire des modèles utilisables par les PME puisqu’ils permettent de détailler les interactions i) entre les citoyens ; ii) entre eux et l’environnement urbain ; iii) entre les infrastructures urbaines ; et iv) entre les citoyens, les services publics et les entreprises[5].
C’est la raison pour laquelle nous pensons que les villes intelligentes peuvent devenir des « écosystèmes de données ouvertes » : partant de cette métaphore, un écosystème est un système de personnes, de pratiques, de valeurs et de technologies dans un environnement local qui interagit, à travers des composants relativement connectés et avec des interdépendances substantielles.[6]où les données publiques sont générées et peuvent être réutilisées.
Dans ce contexte d’interactions réflexives, les utilisateurs, les innovateurs technologiques, les gestionnaires de données, les agents politiques et les parties prenantes sont mutuellement interdépendants : alors que les agents politiques visent le développement économique, social, culturel et infrastructurel qu’une économie de données peut potentialiser, les utilisateurs, les innovateurs technologiques, les gestionnaires de données et les d’autres parties prenantes bénéficient de l’accès aux données ouvertes. Les données ouvertes doivent donc circuler entre producteurs et utilisateurs, dans une optique de coopération pouvant conduire à une optimisation, où les acteurs, en développant une dépendance mutuelle, assument une responsabilité commune[7].
L’écosystème, pour fonctionner, a besoin d’une infrastructure qui sera une structure physique et organisationnelle qui s’appuiera sur une dimension technique et une dimension sociale et humaine. Le premier comprendra toutes les évolutions technologiques concernant la collecte, la maintenance, le traitement et la mise à disposition des données ouvertes ainsi que toutes les opérations matérielles pour rendre ces données disponibles sur des formats ouverts et interopérables, exploitables par des machines ; la seconde mettra en équation le rôle que peuvent jouer la société et les agents économiques, en pensant aux modèles politiques et juridiques pour réguler la nouvelle économie créée par l’open data.
En ce sens, les villes intelligentes peuvent être le terrain approprié pour tester cette construction théorique d’écosystème de données ouvertes, valorisant un principe d’inclusion : d’une part, en favorisant une concurrence véritable et libre entre les agents économiques et, d’autre part, en stimulant l’ouverture et la transparence des données détenues par les autorités publiques, ce qui peut créer des avantages pour la société dans son ensemble.
[1] Cette contribution est légèrement inspirée de l’article scientifique, produit par cet auteur, sur le thème « Dados abertos, reutilização de informações do setor publico e cidades intelligenttes – pistas para um princípio geral da inclusão», produit dans le cadre du projet « Smart Cities and Law, E.Governance and Rights: Contributing to the definition and implementation of a Global Strategy for Smart Cities », numéro de référence NORTE-01-0145-FEDER-00006.
[2] cf. Commission européenne, « Shaping Europe’s digital future – From the Public Sector Information (PSI) Directive to the Open Data Directive », 7 juin 2022, [last acess on 19.5.2023].
[3] Voir, entre autres, et sur le concept de villes intelligentes, Unai Aguilera, Oscar Peña, Oscar Belmonte et Diego López-Ipiña, Citizen-centric data services for smarter cities, in Future Generation Computer Systems, Volume 76, novembre 2017, Elsevier , disponible sur Alberto Abella, Marta Ortiz-de-Urbina-Criado et Carmen de-Pablos Heredero, A model for the analysis of data-driven innovation and value generation in smart cities’ ecosystems, in Cities, Volume 64, April 2017, Elsevier , disponible sur et Fátima Trindade Neves, Miguel de Castro Neto et Manuela Aparício, The impacts of open data initiatives on smart cities: a Framework for evaluation and monitoring, in Cities, Volume 106, November 2020, Elsevier, disponible sur
[4] Fátima Trindade Neves, Miguel de Castro Neto et Manuela Aparício, Les impacts des initiatives de données ouvertes sur les villes intelligentes : un cadre d’évaluation et de suivi, dans Villes, Volume 106, novembre 2020, Elsevier, p. 1, disponible sur
[5] idem.
[6] L’inspiration de la construction théorique de «l’écosystème de données ouvertes» est dérivée de Bastiaan van Loenen, Glenn Vancauwenberghe, Joep Crompvoets et Lorenzo Dalla Corte, Chapitre 1 – Données ouvertes exposées, dans Bastiaan van Loenen, Glenn Vancauwenberghe et Joep Crompvoets (Eds.), Open Data Exposed, IT&Law 30 – Série technologies de l’information et droit, Springer, 2018, p. 4. Cependant, ces auteurs n’ont pas développé le concept pour l’adapter aux villes intelligentes, ce qui est l’objet de cet article.
[7] Idem, p. 4 et 5.
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