Faire respecter le droit international par les tribunaux nationaux – EJIL : Parlez !

Depuis le 8 octobre 2023, au lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël, les exportations d’armes font l’objet de nombreux débats. Après un pic en 2023 (voir rapport sur l’Allemagne), les exportations ont depuis diminué. Les gouvernements du Canada, de la Belgique, de l’Italie et de l’Espagne ont volontairement suspendu le commerce. D’autres, comme le gouvernement néerlandais, l’ont fait après une action en justice devant les tribunaux nationaux. En fait, les affaires nationales prolifèrent et ont été renforcées par les rapports de l’ONU confirmant de graves violations du droit international, en particulier du droit international humanitaire (DIH – voir ici et ici). Si les procédures devant la Cour internationale de Justice (CIJ) ont reçu une attention considérable, les procédures judiciaires nationales – à l’exception d’une affaire récente aux Pays-Bas – ont reçu relativement peu de couverture médiatique. Cela est surprenant, dans la mesure où les tribunaux nationaux peuvent constituer un moyen plus rapide et plus efficace de faire respecter le droit international. Ce blog donne un aperçu des affaires en Allemagne, au Royaume-Uni, en France et au Danemark, en se concentrant sur un problème commun auquel sont confrontés les justiciables : l’accès à la justice. Mais d’abord, un peu de contexte.

Le contexte plus large

La plupart des lecteurs connaissent les affaires portées par l’Afrique du Sud et l’Allemagne devant la CIJ (voir ici, ici). Bien que ces cas soient sans aucun doute intéressants, ils continueront probablement pendant des années et n’auront que peu ou pas d’effet immédiat sur la plupart des États. En revanche, le cas néerlandais bien connu a démontré à quel point les procédures nationales peuvent être rapides et efficaces. En février 2024, la Cour d’appel de La Haye a ordonné au gouvernement néerlandais de suspendre l’exportation de pièces de F-35 vers Israël à la suite d’une réclamation de trois ONG. Cette décision a fait l’objet d’un appel devant la Cour suprême néerlandaise, qui a entendu l’affaire le 6 septembre 2024. Suite à la décision de la Haute Cour, les autorités néerlandaises ont suspendu l’exportation de pièces de F-35 vers Israël (voir ici, ici et ici). Les demandeurs ont depuis déposé une nouvelle plainte, arguant que le gouvernement néerlandais se soustrait à la décision en envoyant des pièces de F-35 aux États-Unis, où elles pourraient être réexportées vers Israël. Une décision sur cette deuxième affaire, entendue en juin 2024, est attendue prochainement.

Affaires allemandes rejetées : des obstacles presque impossibles à un contrôle juridique

Après les États-Unis, l’Allemagne est le deuxième exportateur d’armes vers Israël, représentant 30 % des importations israéliennes d’armes conventionnelles majeures. Les tribunaux allemands ont déjà entendu plusieurs affaires. En juin, le tribunal administratif de Berlin a rejeté une affaire concernant des exportations d’armes. La décision a été confirmée en août par le Tribunal administratif supérieur. L’affaire a été déposée par un groupe de Palestiniens et d’ONG, parmi lesquels le groupe palestinien de défense des droits de l’homme Al-Haq, arguant que l’Allemagne avait violé la loi sur le contrôle des armes de guerre (Loi sur le contrôle des armes de guerre – après « Control Act »), qui interdit les exportations si elles violent les obligations internationales de l’Allemagne. L’affaire a finalement été classée sans suite car aucune décision d’exportation active n’était sujette à révision – les nouvelles licences avaient été suspendues début 2024 – et le droit administratif allemand interdit généralement les mesures contre les décisions anticipées (voir ici et ici). Cette approche restrictive présente des défis pour les mesures provisoires, car les licences d’exportation ne sont généralement pas divulguées à l’avance (voir par exemple le rapport de Forensis). En réponse, les demandeurs ont déposé une nouvelle demande d’informations sur les futures licences, probablement pour se préparer à une nouvelle contestation judiciaire.

Une affaire supplémentaire a été déposée auprès du tribunal administratif de Francfort-sur-le-Main, concernant d’autres équipements militaires, tels que des moteurs ou du transfert de technologie (autre équipement militaire), qui relève de la loi sur le commerce extérieur et les paiements (Loi sur le commerce extérieur – après ‘Payments Act’) plutôt que le Control Act (voir l’analyse ici). Alors que les exportations de matériel militaire au titre de la loi sur le contrôle ont diminué, les exportations au titre de la loi sur les paiements n’ont pas diminué. Cette affaire a également été rejetée, car « irrecevable et manifestement infondée » (paragraphe 17). Le tribunal de Francfort a estimé que les demandeurs n’avaient pas qualité pour agir, car la loi sur les paiements ne garantit pas de droits individuels. En outre, le tribunal de Francfort a déclaré que l’exportation d’autres équipements militaires relevait du pouvoir discrétionnaire du gouvernement et n’était donc soumise qu’à un contrôle judiciaire pour caractère arbitraire. Sur ce dernier point, la Cour estime que l’appréciation du Gouvernement est suffisante.

Affaire britannique rejetée : la Haute Cour s’en remet à l’évaluation du gouvernement

Le Global Legal Action Network (GLAN) et Al-Haq ont demandé l’autorisation d’un contrôle judiciaire concernant les licences d’exportation du Royaume-Uni vers Israël en vertu de la partie 54 des règles de procédure civile. L’octroi de licences d’exportation d’armes est réglementé par la loi sur le contrôle des exportations de 2002 et, après le Brexit, par les critères stratégiques de licence d’exportation (SELC). Les règles pertinentes stipulent que le gouvernement doit refuser une licence d’exportation d’armes s’il existe un risque évident que les articles contrôlés puissent être utilisés pour commettre ou faciliter des violations graves du DIH ou des droits de l’homme (Critère 2).

Les demandeurs ont fait valoir que, compte tenu de la situation à Gaza, la seule ligne de conduite rationnelle au titre de la SELC était, et demeure, de suspendre les licences d’exportation pertinentes vers Israël. Dans un arrêt de février 2024, la Haute Cour de Londres a estimé que cette action n’avait aucune « perspective réaliste de succès » (voir ici). La Haute Cour a noté que, comme SELC exige un « risque évident » de « violation grave », il y avait « un obstacle important à surmonter ». Il a estimé que la décision du gouvernement d’accorder des licences n’était pas irrationnelle et s’est déclaré satisfait de son évaluation et de son examen.

Cette décision a été quelque peu remise en cause par la décision du gouvernement travailliste nouvellement élu, le 2 septembre 2024, de suspendre les exportations d’armes, à la suite d’un examen des actions d’Israël. Le gouvernement a constaté qu’il existait un « risque évident que certaines exportations militaires vers Israël soient utilisées dans des violations des [IHL]’. Néanmoins, le Royaume-Uni n’en a suspendu que 30 sur un total d’environ 350 licences d’armes. Ces suspensions ne s’appliqueront pas aux composants de fabrication britannique destinés au programme mondial d’avions de combat F-35 – malgré l’utilisation signalée d’avions de combat F-35 par Israël pour mener des frappes aériennes à Gaza et la décision contraire de la Haute Cour néerlandaise. La décision a fait l’objet d’un appel.

Affaires françaises rejetées : les licences d’exportation d’armes à l’abri du contrôle judiciaire

Des ONG Elven ont porté plainte en France (voir ici). Dans leur demande de référé devant le tribunal administratif de Paris, ils ont demandé la suspension de toutes les autorisations d’exportation, tant pour les armes que pour les biens à double usage, exigeant le réexamen des autorisations d’exportation de matériel de guerre conformément aux dispositions de l’article L. 2335. -4 du Code de la Défense. L’article pertinent permet au gouvernement de suspendre, modifier, révoquer ou retirer les licences d’exportation si l’exportation n’est pas conforme aux obligations internationales de la France. La formulation de l’article (L’autorité administrative peut…) indique que la suspension est une possibilité, mais pas une obligation. Les demandeurs ont fait valoir que les exportations violeraient le droit international, constitutionnel et européen (entre autres Article 6(3) du Traité des Nations Unies sur le commerce des armes et UE 2008/944/PESC) et a demandé à agir en vertu de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. La demande a été rejetée en avril 2024. Le tribunal de Paris a suivi la position du gouvernement selon laquelle la délivrance de licences d’exportation constituait un acte gouvernemental et n’était donc pas soumise à un contrôle judiciaire. Un appel a été rejeté en mai. Cette affaire fait suite à des précédents de contestations judiciaires liées aux exportations d’armes vers l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis, sur fond d’inquiétudes concernant de potentielles violations du DIH et des droits de l’homme au Yémen, qui ont également été rejetées. Ensemble, ces affaires démontrent la quasi-impossibilité d’obtenir un contrôle judiciaire des exportations d’armes en France.

Batailles juridiques en cours au Danemark

Deux plaintes ont récemment été déposées au Danemark. Dans un cas, un groupe d’ONG, dont Al-Haq, a demandé un contrôle judiciaire contre la police et le ministère des Affaires étrangères. Dans une autre affaire, déposée par un jeune Palestinien, le ministère de la Justice a également été désigné comme défendeur. Dans les deux cas, les demandeurs soutiennent que le Danemark viole la loi danoise sur les armes (Våbenloven), ainsi que le droit européen et international, en accordant des licences d’exportation pour les composants danois du chasseur F-35 destinés à Israël. La légalité de ces exportations a été débattue en commissions parlementaires, ce qui a conduit au dépôt d’un projet de loi en mars 2024 visant à mettre fin aux nouvelles licences. Le projet de loi n’a recueilli que 11 voix sur 189 et a donc été rejeté.

Le gouvernement a déclaré à plusieurs reprises au sein des commissions parlementaires qu’aucune pièce d’arme n’était exportée directement du Danemark vers Israël. Au lieu de cela, les pièces sont expédiées vers les États-Unis et le gouvernement danois prétend ignorer leur destination finale. Cette affirmation a toutefois été ébranlée lorsqu’il a été démontré qu’une entreprise danoise était explicitement entrée en Israël comme utilisateur final potentiel dans sa demande de licence d’exportation. Malgré cela, lorsque les autorités ont délivré le permis, la licence indiquait l’utilisateur final comme « inconnu ».

Dans une tournure inhabituelle des événements, trois anciens ministres des Affaires étrangères ont récemment écrit un article d’opinion exprimant leur soutien au dépôt de plaintes. Ils seront entendus par la Haute Cour orientale du Danemark le 25 février 2025.

Conclusion

Même si l’affaire néerlandaise a créé un précédent important, la décision britannique souligne les limites du contrôle judiciaire, en particulier lorsque les tribunaux s’en remettent aux évaluations du gouvernement. Un tel report diminue la valeur des exigences de statut généralement clémentes au Royaume-Uni (pour une comparaison, voir ici). Cela est regrettable, dans la mesure où les tribunaux britanniques sont généralement plus disposés à réviser les décisions du gouvernement, en particulier dans les questions liées aux droits de l’homme ou à l’environnement.

En revanche, l’Allemagne et le Danemark ont ​​des exigences plus strictes, fondées sur les droits, qui nécessitent un impact direct sur les droits du demandeur. De plus, les mesures provisoires sont généralement irrecevables et les tribunaux s’en remettent souvent aux décisions administratives. La France a également une position étroite et fondée sur des intérêts. Toutefois, dans les affaires susmentionnées, les tribunaux ont refusé de réexaminer les actes pertinents. Les Pays-Bas, en revanche, trouvent un équilibre avec une approche plus large, fondée sur les droits, qui permet des recours en justice lorsqu’un intérêt légitime est démontré.

Au fil des années, l’accès au contrôle judiciaire s’est élargi dans de nombreux États, notamment dans le domaine du droit de l’environnement. Dans ce domaine, la Convention d’Aarhus a eu un grand impact : elle exige l’existence de procédures judiciaires ou administratives pour contester les violations des lois environnementales. Au sein de l’Association des Femmes Seniors du ClimatLa Cour européenne des droits de l’homme a souligné l’importance d’accorder la qualité pour agir aux organisations d’intérêt, notant que «Dans les sociétés modernes, où les citoyens sont confrontés à des décisions administratives particulièrement complexes, le recours aux organismes collectifs comme les associations est souvent l’un des seuls moyens disponibles pour défendre efficacement leurs intérêts.» (paragraphe 489). Cette observation est vraie non seulement pour le droit de l’environnement, mais aussi dans les affaires actuelles, soulevant des questions légitimes sur la manière dont les gouvernements peuvent être tenus responsables s’il n’y a pas d’accès à la justice ou si les actes gouvernementaux sont exemptés du contrôle des tribunaux nationaux. La pression sur les autorités nationales s’est accrue alors que 39 experts de l’ONU ont récemment appelé les États à se conformer aux normes énoncées dans le récent avis consultatif de la CIJ. entre autres imposant un « embargo total sur les armes contre Israël ». Les litiges vont probablement se poursuivre.

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